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Gepubliceerd op vrijdag 13 september 2019
IEFBE 2940

Artikel ingezonden door Thierry van Innis, Van Innis & Delarue.

Thierry van Innis: noot onder Cofemel

La protection des modèles (utilitaires) par le droit d’auteur dans l’Union européenne

Par son arrêt Cofemel prononcé le 12 septembre 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne, les conditions de protection des modèles se trouvent enfin harmonisées [IEF 2938].

Certes, l’harmonisation de la protection des modèles enregistrés était déjà parfaite, par l’effet, d’une part, du règlement 6/2001 sur les dessins et modèles communautaires et, d’autre part, de la directive 98/71 sur la protection juridique des dessins ou modèles.

En revanche, alors que depuis bien longtemps il était admis dans tous les Etats membres que les modèles, qu’ils soient enregistrés ou non enregistrés, étaient susceptibles d’être (également) protégés par le droit d’auteur, les conditions de leur protection par le droit d’auteur ne semblaient pas être harmonisées, d’autant que tant le règlement précité en son article 96, que la directive précitée en son article 17, stipulent que les modèles protégés par ces instruments peuvent bénéficier en outre de la protection par le droit d’auteur aux conditions « déterminées par chaque Etat membre ».

Partant, l’Allemagne, l’Italie et le Portugal, pour ne citer que ces trois Etats membres, se sont cru autorisés à ne protéger les modèles par le droit d’auteur que s’ils présentaient un degré d’originalité plus élevé que celui exigé pour la protection par le droit d’auteur de toute autre création. Ainsi, il y était exigé que le modèle ait un certain attrait ou valeur esthétique ou encore qu’il présente un caractère artistique marqué, excluant ainsi de la protection par le droit d’auteur la plupart des modèles qualifiés d’utilitaires.

Dans d’autres Etats membres, tels la France, la Belgique et les Pays-Bas, aucune discrimination n’était tolérée au détriment des modèles. Ils y sont en effet protégés par le droit d’auteur dès l’instant où ils répondent à la seule condition à laquelle doit répondre toute œuvre pour mériter cette protection, à savoir qu’elle soit ‘originale’ (et, bien sûr, qu’elle soit identifiable avec précision).

Or, la Cour de justice, par les quelques arrêts cités plus loin, avait déjà clairement dit pour droit comment interpréter la notion d’œuvre au sens de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et, partant, explicité ce que couvrait la notion d’originalité.

Et voilà que par son arrêt Cofemel, la Cour dit pour droit que tout modèle qui répond à la notion d’œuvre au sens de sa jurisprudence antérieure mérite d’être protégé par le droit d’auteur, ce qui consacre l’approche devenue traditionnelle en France, en Belgique et aux Pays-Bas. Elle s’impose aujourd’hui dans l’ensemble de l’Union.

Voyons maintenant comment la Cour avait défini la notion d’œuvre et comment, dans le respect de cette jurisprudence, des modèles utilitaires très courants ont été à juste titre considérés comme des œuvres au sens du droit d’auteur.

Rappel de la jurisprudence de la Cour sur la notion d’œuvre

1. L’article 2 de la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information dispose que :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque
moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:

a) pour les auteurs, de leurs œuvres ; ».

2. S’agissant des notions véhiculées par cet article, telles les notions d’œuvre, d’auteur, de reproduction directe ou indirecte, en tout ou en partie, etc., la Cour dit pour droit sous les points 27 et 28 de son arrêt Infopaq du 16 juillet 2009 dans l’affaire C-5/08 qu’il s’agissait de notions communautaires qui devaient dès lors être interprétées d’une manière uniforme dans l’ensemble de l’Union, ce que rappelle la Cour sous le point 29 de son arrêt Cofemel :

« 27. À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité que les termes d’une disposition de droit communautaire qui, telles celles de l’article 2 de la directive 2001/29, ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme (voir, notamment, arrêts du 6 février 2003, SENA, C/245/00, Rec. p. I-1251, point 23, et du 7 décembre 2006, SGAE, C-306/05, Rec. p. I-11519, point 31).

28. Ces exigences s’imposent tout particulièrement en ce qui concerne la directive 2001/29, compte tenu des termes de ses sixième et vingt et unième considérants ».

3. Il est acquis que dans chacun des Etats membres de l’Union la législation nationale en matière de droit d’auteur est conforme à l’obligation issue de l’article 2 précité et accorde donc aux auteurs ledit droit de reproduction sur leurs œuvres.

4. La Cour de justice dit par ailleurs dans son arrêt Infopaq précité que la notion d’œuvre se définissait comme un « objet qui est original en ce sens qu’il est une création intellectuelle propre à son auteur », ce qu’un modèle utilitaire peut être incontestablement.

5. Dans son arrêt Painer du 1er décembre 2011 dans l’affaire C-145/10, la Cour
précisa :

- qu’il y avait une telle création intellectuelle d’un auteur dès lors qu’elle « reflète la personnalité de celui-ci » ou, en d’autres mots, porte « sa touche personnelle » (points 88 et 92) ;

- qu’une telle touche personnelle est présente « lorsque l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres en créatifs » (point 89).

6. Ce faisant, la Cour consacra la conception traditionnelle française de la notion d’originalité, à l’opposé de la conception traditionnelle anglo-saxonne qui exige un ‘effort’ ou un ‘investissement’ de la part de l’auteur, ainsi que de la conception traditionnelle allemande qui ne concluait à l’originalité qui si l’œuvre présentait un ‘caractère artistique marqué’. La conception traditionnelle en Belgique fut elle aussi légèrement corrigée, car la jurisprudence belge dominante exigeait aussi que l’auteur ait fait preuve d’un ‘effort’ pour reconnaitre à son œuvre l’originalité requise.

7. Enfin, par son arrêt Football Dataco du 1er mars 2012 dans l’affaire C-604/10, la Cour confirma qu’un tel ‘effort’ ou qu’un tel ‘caractère artistique’ n’était nullement requis.

Quelques exemples de modèles utilitaires protégés par le droit d’auteur conformément à la jurisprudence de la Cour

8. Comme la Cour n’a fait que consacrer la conception traditionnelle française de la notion d’originalité, la jurisprudence française offre bien entendu de très nombreux exemples de protection par le droit d’auteur de modèles utilitaires, parmi lesquels les exemples suivants :                                                                         

       

9. L’enseignement de la Cour, qui s’impose légalement dans tous les Etats membres, trouva déjà de nombreuses applications ailleurs qu’en France.

10. Ainsi, en Belgique, les modèles suivants furent protégés en jurisprudence par le droit d’auteur par référence expresse à l’enseignement de la
Cour :

11. Tout aussi respectueuse dudit enseignement de la Cour, la jurisprudence néerlandaise a considéré que les modèles suivants présentaient l’originalité requise pour être protégés par le droit d’auteur :

12. La protection, aujourd’hui harmonisée, des modèles par le droit d’auteur présente les trois grands avantages suivants :

− Elle fait sauter les dernières entraves à la libre circulation des biens au sein de l’Union nées des disparités des conditions de leur protection ;

− Le droit d’auteur s’acquiert par le seul fait de la création de l’œuvre, c’està-dire sans coût ou formalité nécessaire à l’acquisition du droit ;

− Le droit d’auteur est le plus ‘absolu’ des droits de propriété intellectuelle, car il est le seul a toujours être conçu comme un droit de reproduction.

Thierry van Innis
Bruxelles, le 12 septembre 2019